Mamies blues

Début d'année 2021. C'est officiel, mes deux grands mères sont officiellement "incarcérées".


Elles ont été placées en Ehpad, dans le temps on appelait ça une maison de retraite, quand le terme mouroir n'était pas de mise.

 

Pour l'une, Jeanne, ce n'est pas si "grave", je m'explique, elle n'a plus conscience du monde qui l'entoure et pense qu'elle prend régulièrement le train pour faire de jolis voyages et bien qu'elle cherche son mari (décédé il y a plus de 20 ans), le temps n'a plus les mêmes frontières.

 

Pour l'autre, Pierrette, c'est plus dur. Sa tête, elle l'a et bien remplie, fonctionnant à plein régime, sa voie aussi, qu'elle fait entendre quand les choses "ne tournent pas à sa main", non, elle se sont les jambes qui lui font défaut. 

 

Ce qui lui fait défaut aussi c'est l'étroitesse des lieux, cette si petite pièce dont elle ne peut que peu sortir. D'abord, sortir, il faut qu'on la sorte, elle ne peut faire rouler son fauteuil seule, et puis la présence de tous ces "vieux" (comme elle dit, sûrement avec un brin de malice) ne la rassure pas. 

 

Pourquoi je vous parle de mes grands-mères ?

 

Sûrement parce que j'ai été élevé par elles, la première partie de ma vie par la première, la seconde partie de ma vie actuelle, c'est dans ou sur les traces de la seconde.

 

J'habite sur les terres qu'ont commencé à modeler mes aïeuls en 1786, nous n'avons pas plus "creuser" plus loin dans des archives. Ma maison, que j'ai construite en colombage, s' était déjà une sorte d'hommage...

 

Non, c'est plus pour remercier ma grand-Mère Pierrette. 

 

Lorsque je suis revenu sur ces terres après mes études pour travailler comme formateur en milieu carcéral, j'ai été stupéfié de voir ses photos, toutes ses archives, stockées en poches.


(oups, en Charente Maritime on dit poche quand dans d'autres contrées le terme pochon ou sachet plastique est de mise, vous m'excuserez du côté terroir...) 

 

Oui, de simples poches Codec ou Mammouth... Elle les ouvrait de temps en temps, il me semble que ses photos ainsi " " " rangées " " " lui semblaient plus vivantes, l'ancien côtoyant le plus récent, les photos des derniers nés côtoyant ceux disparus depuis longtemps. Souvent, après ces repas interminables du dimanche midi, où il fallait ingurgiter les traditionnels "entrées + parfois poissons + viandes + accompagnements + fromages +desserts, ah non faut tout finir avant de penser pouvoir sortir de tableeee", elle sortait les archives et nous entendions les anecdotes mélées de ces photos tirées des sacs plastiques.

 

Je lui avais dit à l'époque qu'il serait sûrement intéressant qu'elle consigne ça, qu'elle nous laisse une trace de toute sa mémoire, tout ce qui a fait sa vie, la transition qu'elle a pu connaître puisque sa génération aura vu passer ce siècle et tout ce qu'il a changé (du travail au champs avec la mule, l'arrivée du tracteur, la télévision, son permis de conduire, le droit de vote, etc, etc...). Elle ne l'a donc jamais fait et je me retrouve d'ailleurs avec ses poches de photos anomymes au grenier.  


En ces jours où la vie que je me suis choisi prend un chemin qui n'est plus celui que je voudrais qu'il soit, je prends conscience que ce blog, cette trace, ces traces de tous ces tous petits arbres dont j'essaye de prendre le plus de soins possible, c'est de cette réflexion qu'il vient, je fais ce blog pour ne pas avoir de vagues photos qui trainent dans une poche. 


Au moins, si j'arrive dans la situation de mes g
rands mères un jours, pourrais je revoir s'égrener la vie.